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11 novembre 2015 3 11 /11 /novembre /2015 17:37
« Héloïse, ouille » de Jean TEULE, version impertinente d’un amour de légende…

Au cimetière du Père Lachaise, reposent depuis un siècle, Héloïse et Abélard, dans une même sépulture, éternellement enlacés pour marquer la force de leur amour.

Quand le Chanoine Fulbert présente Héloïse à Abélard et lui demande de pourvoir à son éducation, c’est à l’un des intellectuels les plus réputés du règne de Louis VI qu’il confie sa filleule. Abélard enseigne la théologie à Notre Dame de Paris et il est voué à la carrière la plus prestigieuse. Entre la jeune élève et son professeur c’est un coup de foudre immédiat. L’entente est totale. Elle est à la fois intellectuelle et charnelle. Au point que, très vite, Abélard fait passer ses cours au second plan et oublie la plus élémentaire prudence. Le parrain de sa bien-aimée apprendra cette liaison et en sera furieux. Furieux de leur relation, de l’enfant qui en naîtra, du mariage secret des deux amants … tout cela à l’encontre des règles religieuses que le Chanoine Fulbert voulait transmettre à sa filleule.

La vengeance de Fulbert sera terrible puisqu’il fera appel à deux larrons pour émasculer le brillant théologien. Héloïse prononce ses vœux et se retire à l’abbaye d’Argenteuil. Abélard choisit d’être moine à l’Abbaye de Saint Denis. Il y écrira son cours de théologie, s’engageant ainsi dans un processus de contestation de la tradition qui lui vaudra l’inimitié des plus hautes autorités de l’Eglise. Il sera, toute sa vie, mis à l’index, chassé et condamné.

Il fonde ensuite l’ermitage de Paraclet où une foule d’étudiants le suit bientôt. Devenu Abbé de Ruys, les propres frères de sa communauté tentent de l’assassiner. Condamné une nouvelle fois pour ses écrits hérétiques, il entreprend de se rendre à Rome pour faire appel. Malade, il doit faire une halte au Prieuré de Saint Marcel, près de Chalon et ne reprendra jamais sa route.

Lorsqu’il meurt, en 1142, Héloïse, qui dirige alors le couvent du Paraclet, réclame la dépouille de son défunt mari et fait construire un tombeau à proximité de son abbaye. Lorsqu’elle meurt à son tour, elle se fait enterrer sous le corps de son mari. Objet d’un véritable culte, la sépulture des amoureux sera transférée à Paris au Père Lachaise en 1817.

Le Roman de Jean TEULE << Héloïse, ouille >> se distingue des autres ouvrages consacrés au célèbre couple par sa façon humoristique et très crue de décrire cette idylle. D’aucuns pourraient même qualifier son œuvre de pornographique tant la description des ébats amoureux emprunte au style évocateur du marquis de Sade.

Pourtant, on aurait tort de croire que Jean TEULE ait voulu dévoyer l’histoire des amants célèbres et s’attirer des lecteurs concupiscents. Tout d’abord, la sexualité au Moyen-Age était, s’il on en croit l’historien Jacques ROSSIAUD (« Sexualités au Moyen-Age», Ed. GISSEROT) bien moins contenue qu’on l’a longtemps laissé croire. D’autre part, la description des scènes de sexe, dans ce roman, éclaire le lecteur sur l’intensité de la relation amoureuse entre Héloïse et Abélard. Ces deux êtres s’aiment passionnément et se découvrent une complicité symbiotique. Tout leur paraît simple, naturel, évident. Abélard est envouté par la beauté d’Héloïse et Héloïse est en admiration devant la prestance et l’intelligence d’Abélard. Héloïse a dix-sept ans. Elle a tous les atouts pour profiter de la vie et n’entend pas s’en priver. D’Abélard elle aime l’esprit et aussi le corps. Et de son précepteur elle ne veut pas recevoir que des leçons de théologie. Sa soif de connaissances n’a pas de limites, sa soif de sexe avec l’homme qu’elle aime n’en n’aura pas non plus. Finalement, leur complicité charnelle n’est que le prolongement de leur complicité intellectuelle.

Et puis tout s’écroule, brutalement. Les amants sont séparés et la castration d’Abélard sonne le glas des étreintes passionnées. Pourtant, Héloïse ne laissera jamais s’éteindre la flamme de son amour. Cet amour qu’elle ne peut plus consommer, elle va le repenser, à défaut de le revivre au sein de sa communauté religieuse du Paraclet à la destinée de laquelle elle présidera. Et lorsque, avec << Histoire de mes malheurs>> commence la célèbre correspondance, elle extirpera, du fond de son cœur, sa passion d’adolescente, demeurée intacte.

Abélard, quant à la lui, va suivre un chemin tout aussi escarpé. Puisque les plaisirs de la chair lui sont maintenant interdits, il va se consacrer pleinement à la théologie. Dès 1118, avec « theologia summi boni » il remet en cause la théologie officielle, ce qui lui vaudra les foudres de Bernard de Clairvaux et un autodafé.

Quelques années plus tard avec « Sic et Non », il préconise un retour aux textes et incite ses lecteurs à ne pas se fier aux prédicateurs. « Theologia scholarium » est encore plus novateur. Il favorise l’esprit critique, en appelle à la raison, fait passer la morale par l’intention et apprend à ses étudiants, toujours plus nombreux, une méthode qui deviendra plus tard la « scholastique ». Abélard osera également promouvoir le dialogue interreligieux avec « Dialogue entre un philosophe, un juif et un chrétien. »

Il faut dire que, dans cette deuxième partie du Moyen-Age, marqué par l’intensification des échanges et l’essor démographique, les aspirations au savoir sont fortes. Avec Abélard apparaissent les ouvrages imprimés pour le plus grand nombre. L’apprentissage des sciences humaines n’est plus réservé au Clergé. Et ce que l’on appellera plus tard les universités apparaissent.

Abélard paiera très cher, toute sa vie, son impertinence envers l’Eglise après avoir payé très cher son idylle avec sa jeune élève.

La vie de la belle Héloïse que tout prédisposait à un avenir radieux ne fut pas plus clémente. Pas seulement parce qu’elle sera toute sa vie confinée dans l’austérité de la vie monacale. Mais plutôt parce que l’immense douleur de l’absence ne trouve pas l’écho qu’elle espérait auprès de son mari.

Elle saisit l’occasion que lui offre la publication par Abélard « L’histoire de mes malheurs » pour entamer avec son époux une correspondance de dix-neuf lettres. Elle y revendique la reconnaissance par Abélard du désir autrefois partagé, de la magnifique complicité sexuelle qui les a unis et dont le souvenir la torture quotidiennement au point qu’elle ne parvient pas à prier. Dans « Le travail de l'écriture d'Héloïse dans ses lettres à Abélard. », Analyse Freudienne Presse 2/2005(no 12),p. 153-166, Françoise GUILAUMARD a montré combien cette correspondance est, pour Héloïse, un parcours psychanalytique pour parvenir à faire le deuil de son désir. Pour cela, elle ne craint pas de nommer les choses, notamment dans sa quatrième lettre « Ces voluptés des amants que nous avons simultanément pratiquées, à moi me furent douces et je ne peux ni les détester ni à peine les laisser se dissoudre dans ma mémoire. Où que je me tourne, toujours, elles se glissent devant mes yeux par le désir. »

Il faut du courage, surtout pour une moniale au Moyen-Age, pour oser avouer : « Même quand je dors, il n’y a pas jusqu’aux mouvements de mon corps accompagnés de paroles intempestives, qui ne permettent de prendre sur le fait les cogitations de mon esprit. »

A ce déchirant aveu, Abélard répond par la réprobation. « Cesse ta rengaine, lui admoneste-t-il. » Pour lui, Héloïse a tort de penser encore à qu’il considère comme des errements fautifs de leur jeunesse passée. Et ce qui est arrivé, la castration et la séparation, est providentiel. « Il fallait mettre fin à cette intempérance de la libido, ces actes impudentissimes, ce dévergondage, ces souillures sans vergogne. »

Pour autant Héloïse ne renonce pas. Il lui faut à tout prix, pour retrouver un semblant de paix intérieure, recréer une complicité amoureuse avec Abélard. Elle va alors lui demander d’écrire une règle pour les moniales, une adaptation de la règle que Saint Benoit a écrite pour les hommes. La règle, selon Héloïse, doit être adaptée aux femmes pour tenir compte de leur fragilité. Héloïse se livrera à un énorme travail, rigoureusement détaillé, qui donnera naissance en 1150 à « Nos observances. » C’est incontestablement pour elle un moyen de maintenir un lien privilégié avec son mari. Abélard est abbé de Ruys et il ne peut se dérober aux questions théologiques que lui pose son épouse. Loin de déclencher les foudres de l’Eglise, elle va être à l’origine d’un renouveau du monachisme féminin. Son œuvre est ainsi accomplie. Elle peut maintenant se dire qu’il restera à jamais une trace de ses nuits d’amour avec son amant. Elle peut attendre la mort. Mais elle vivra assez longtemps pour recevoir Au Paraclet, son couvent, la dépouille de son époux.

On ne peut qu’être admiratif devant la force indestructible de la passion amoureuse chez Héloïse. Cet amour qui aurait pu la détruire l’a, au contraire, rendue plus forte. Car elle a su dépasser le stade de la souffrance pour, au nom de cet amour, mener à bien un combat pour la féminité. A défaut de pouvoir partager cet amour avec le seul homme de sa vie, elle le diffusera à toutes les femmes qui décident de se donner à Dieu.

Et Abélard dans tout cela ? Aura-t-il jamais pris la mesure du magnifique engagement d’Héloïse ? Par-delà le caractère mythique de cette liaison, l’histoire d’amour entre Héloïse et Abélard pose peut-être une autre question : le meilleur des hommes sera-t-il jamais à la hauteur de l’amour inconditionnel d’une femme ?

« Héloïse, ouille ! », Jean TEULE, mars 2015, Ed. JULLIARD (cf. également « extraits »)

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commentaires

G
Merci pour cet article copieux, documenté et didactique.<br /> De Jean Teulé, je n'ai lu que "Le Magasin des suicides", "Le Montespan" et "Charly 9", il me semble... Je suis partagé entre la curiosité de découvrir la façon picarde avec laquelle il aura (mal)traité ce sujet, de cette plume alerte et savoureuse qui le distingue, et la crainte d'être trop vite lassé par une certaine complaisance dans le grivois, déjà un peu lourde, à mon goût, dans "Le Montespan".
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